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30 Jun 2022

L'âge de la foi, roman de jocelyne Labrousse

Je vous livre ici les premiers chapitres d'un des nombreux romans que ma mère à écrit, si vous souhaitez l'acheter, vous le trouverez sur amazon sous son titre

Chapitre I

(Mi-septembre 884 non loin de Rouen)

LE CONVOI…

   Engoncée dans un épais manteau de brume, la forêt était comme endormie. Luisantes, les feuilles pleuraient lentement, entretenant une lourde humidité au ras du sol où l'herbe gorgée d'eau concurrençait victorieusement la mousse. De temps à autre, un bruit de branches signalait la fuite d'un lapin, d'une genette, la quête d'un loup solitaire.

    Devant et entre les chariots, les cavaliers se taisaient, dans le froid du petit matin. Les naseaux des chevaux fumaient. Leurs pieds, recouverts dans l'espoir d'éviter le bruit, formaient des souches arrachées à chaque pas, laissant des creux profonds dans la boue. Le chuintement de la terre grasse et meuble, les trahissait presque autant que le grincement des roues ou le halètement des bœufs.

    Derrière le lourd rideau de cuir, en revanche, le murmure des femmes était à peine audible. Le sommeil leur pèserait sur la langue un bon moment encore. C'était, pour tous, une maigre consolation que ce semblant de sécurité, en un tel péril.

    La petite silhouette qui trottinait à l'arrière n'avait pas peur, cependant. Ni froid, en dépit de sa tunique courte et de ses pieds nus. La marche la réchauffait. Simplement, son ventre tiraillait, lui rappelant que le pain était dans le panier d'osier, entre les jambes de Dame Mahaut. Arrachant une branche au passage, elle la mâchouilla, pour tromper sa faim.

    La Seine ne devait pas être loin. Où étaient-ils... devant? Derrière...? À quoi ressemblaient-ils, ces démons dont on ne cessait de l'entretenir? Leurs cheveux et leurs yeux étaient-ils aussi clairs qu'on le disait? Leur menton était-il nu, ou velu comme celui de Sir Théodore de Rouen? Que craindre, si un parti de ces pillards les devinait? Le pire, sans doute... Même si dans son esprit, le pire était flou...

    Avec un frisson d'épouvante, l'enfant jeta un regard en arrière et s'empressa de raccourcir l'écart occasionné par sa rêverie. Les récits que l'on faisait des massacres auraient suffit à créer la panique chez n'importe qui. De ce fait, la mauvaise humeur de Dame Mahaut se justifiait.

    Une fois de plus, la retardataire se dit qu'il n'était pas prudent d'avoir laissé un religieux les accompagner.

    Tentée d'arracher la croix qui pendait à son cou, la fillette baissa le nez en se signant précipitamment. La mort n'avait rien d'effrayant, si c'était pour Notre Doux Seigneur! Elle était comme tous sous sa garde, Il saurait les mener à destination sans dommage. Et s'il en était autrement, que Sa Volonté soit faite. Après ce monde de larmes et de pénitences viendrait le Paradis.

    «N'as-tu point faim, Petite?»

    D'un bond, la petite en question sauta sur le montant de bois du chariot. Dame Mahaut ne protesta pas. Elle était mécontente que le Père Narcisse ait appelé. L'ordre de se taire valait pour tous. Néanmoins, cette fille n'était pas responsable. Ses torts, si torts il y avait, étaient autres. Au reste, qui aurait pu jurer de rien? Peut-être tout le monde se trompait-il? Seule Dame Guylaine aurait pu répondre avec certitude. Sa mort aurait dû lier les langues, puisque les autres ne pouvaient plus que supposer.

    Quoi qu'elle en montrât parfois, Dame Mahaut préférait le doute, qui était plus confortable. Sa main se tendit, distribuant le pain, tandis que la nourrice taillait la viande sèche, le lard gras, le fromage.

    Un cahot plus fort que les autres lui fit néanmoins lancer le pied. «Tiens-toi donc, ou descends. Tu gênes tout le monde!»

    Tout le monde, cela signifiait trois personnes. La petite se massa la jambe et repoussa le religieux à son tour. C'était surtout lui et la nourrice, qui tenaient toute la place avec leur bedaine.

    Le Père Narcisse ayant lâché le pot de grès sous la secousse, Aliène la nourrice intervint furieuse. Si quelqu'un était de trop, c'était cette garce de fille de truie qui ne savait pas où poser ses maigres jambes.

    Dame Mahaut n'aimait pas ce genre d'insultes. La fille de truie de la nourrice était peut-être plus importante qu'il y paraissait. Sinon, pourquoi la lui aurait-on confiée en de telles circonstances?

    «La fille de truie c'est toi, Aliène! cria-t-elle. Maintenant, assez! Qu'importe la bière gâtée? Je n'avais plus soif. Quant à toi, descends!» ajouta-t-elle en écartant le cuir d'une main fine où brillait une bague.

    L'autre tira la langue à la nourrice, attrapa son lard au vol et disparut.

    Quelques rayons de soleil commençaient à percer les nuages. La journée serait belle. Comme ce pays lui convenait. Quel bonheur que de vivre, d'être jeune et en bonne santé! Le souvenir du lépreux rencontré la veille, lui tira un soupir. "Pourquoi n'avait-on pas le droit de tuer ces gens-là?"

 

Chapitre II

 

L'ATTAQUE...   


 

   À quelque distance du convoi, dissimulés dans les feuillages, les hommes s'étaient arrêtés, l'oreille tendue. D'un geste autoritaire, Leif leur fit signe de ne pas bouger.

    Les bruits étaient encore confus. Qu'était-ce?... Une troupe de serfs déboisant? un village? quelques moines en marche marmonnant des prières?… Non, rien de tout cela. Aux grincements, on devinait un ou plusieurs chariots.

    Un hennissement lui en apprit davantage: des cavaliers qui, probablement, avaient bandé les pattes de leurs bêtes.

   Leif recula, courbé, attentif à ne pas se laisser percer à jour. Aux bruits qui se faisaient plus nets, il compta les voitures. Trois chariots, c'était inespéré. La prise serait bonne et consolerait du retard pris sur les autres au moment du départ. Basse et rauque, sa voix modula le cri de ralliement à l'intention des silhouettes qui se tenaient toujours en retrait.

    Immédiatement, un casque conique se balança affirmativement: Roll avait compris que c'était le moment.

    Bien que prendre sa place l'effrayât encore, Leif savait que son jeune ami rêvait de l'égaler bientôt. Un jour, lui aussi aurait ses propres drakkars et donnerait ses ordres. L'âge venait. Les temps étaient proches où le jeune bondi de Norvège s'envolerait. Le sang qui bouillonnait sous sa peau était impatient, ardent, ambitieux. La mort ne l'effrayait pas. Au combat, sa seule crainte était l'infirmité qui affaiblissait l'homme, lui donnant la peur pour maître. Plutôt mourir que la mauvaise blessure. Leif pensait de même... Tous devaient penser de même!

    D'un mouvement du casque, il désigna la direction du bruit. Sa main se tendit, trois doigts levés, puis s'abaissa entre ses jambes, mimant le geste de monter en selle. Trois chariots et des cavaliers...

    À présent, tous ceux qui tout à l'heure se fiaient à son oreille, la meilleure de toutes, devaient forcément entendre aussi. Pourtant, nul ne bougeait. On attendait son signal. C'était cela, l'autorité librement acceptée...

   Leif patienta encore un peu puis, hardiment, sans se préoccuper des autres, se jeta en avant en poussant un grand cri. Déjà entre les arbres où s'effilochaient quelques lambeaux de brume, apparaissaient les premiers cavaliers de l'escorte. Il y aurait donc forcément combat, tous le savaient. À présent, c'était chacun pour soi.

    Casqués de cuir, une lame de fer pour protéger l'arête nasale, les Francs avaient fière allure; encore que leur rigidité dénonçât une certaine lourdeur. Assortie à celle de leur monture, leur robe était brodée, preuve qu'il s'agissait de seigneurs. Leurs lances ne feraient pas de quartier et on pouvait craindre que la grande épée qui battait à leur ceinture fît plus de ravages que les arcs et les flèches des gens à pieds qui les accompagnaient.

    À la vue de celui qui, l'ayant choisi, se lançait sur lui, Leif plissa les paupières. Un frisson fit trembler les muscles de ses bras sous la manche de peau fine et l'épaisse fourrure de loup. Qu'Odin et Thor lui soient favorables et guident ses coups.

    Tirés par l'élan de leur chef, tous les siens s'étaient rués au travers les fourrés. La mêlée était atroce, indescriptible.

    Tenant son arme à deux mains, la gorge déchirée par ses cris, Roll sauta sur l'ennemi qui le tentait. Le sang ruisselait, les membres s'arrachaient, la fureur décuplait ses forces. Le danger aiguisait ses sens, la victoire exaltait son esprit de façon enivrante... Des gorges s'ouvraient, des yeux se révulsaient... Ce n'était pas les siens! L'ennemi se défendait bien, il mourait de même, c'était un combat à sa mesure!

    Non loin, Leif, qui reprenait souffle, admirait son jeune ami. La puissance et la précision de ses coups forçaient chez lui un indicible sentiment de fierté... Une petite pointe de méfiance, aussi: oui, Roll ne se contenterait plus longtemps d'être second; il allait falloir compter avec lui sérieusement...

    Poisseuses de sang, les longues mains de Leif s'élevèrent en signe de victoire, tandis qu'avec un dernier cri, Roll lançait sa hache en l'air. Il sauta, se reçut jambes écartées, rattrapa le manche au vol. La lame tournoyait, sifflait au-dessus de sa tête. L'ivresse de la victoire lui donnait une agilité prodigieuse.

    Bouclier en protection, Leif repoussa le buste, évitant l'accident, et l'éloigna d'une bourrade. Les autres étaient déjà au pillage, qu'attendait-il?

    D'un dernier saut, Roll se fraya un chemin parmi les cadavres et les blessés. Ses frères d'armes étaient aussi avides que lui. À cette heure, c'était au plus vorace: l'ours faisait place au loup.

    Leif, lui, étant le plus fort de droit, c'était différent. Il pouvait se permettre de rester en arrière, nul ne songerait à lui voler sa part. S'il le jugeait utile, d'un mot il arrêterait la mêlée et se servirait le premier.

  Cris de joie, hurlements de fureur ou de déception, tout se confondait. La douleur n'existait plus. Sven le Pâle, dont l'épaule saignait abondamment, Thorson, à qui il manquait un doigt depuis peu, d'autres, que les coups adverses avaient malmenés, nul ne se souciait de ces détails. On se bousculait, les plus farouches écrasant les moins rapides, chacun tirait à lui. La proie devait venir ou se démanteler. Les filles hurlaient, couvrant les rires.

    Des coffres de cuir ouvragés apparaissaient, vite ouverts. D'or, d'argent, d'étain, gobelets, ciboires et autres vases passaient de main en main, s'emplissaient de cidre, de bière, de vin...

    Juché sur un bœuf affolé, un homme vociférait, tonitruant. On avait tué la femme sous lui; sans les richesses de vaisselle il se serait battu pour rien! Un autre gloussait, en tendant une défroque de prêtre devant lui.   

    Roll se recula, se laissant tomber sur l'herbe, secoué d'un fou rire. La jambe qu'il tenait appartenait à un corps vieux et gras... Et le religieux avait déjà le ventre ouvert.

    Leif s'avança, tourna autour des chariots, repoussa quelques épaules courbées, qui protestèrent. Toutefois, en l'entendant tonner, tous prirent du recul, le laissant inspecter et juger de la maigreur de la prise.

    Cuisses béantes, ses grosses mamelles marbrées d'avoir été âprement disputées, la femme gémissait, dégoulinante de semence. Les autres femelles, tirées du second chariot, ne valaient guère mieux: leurs yeux révulsés trahissaient l'inconscience.

    D'un geste dégoûté, le jeune chef s'écarta, faisant signe aux autres d'en profiter à leur guise. Puis, furieux d'avoir lui-même à renoncer à un plaisir attendu, il tira l'homme, qui hurla en sentant ses entrailles glisser entre ses doigts. Qu'on châtre ce défenseur du dieu unique et, s'il n'était pas mort, qu'on lui fasse manger cette limace qui ne lui avait jamais servi!

    Avec un rire, Roll sauta sur ses pieds. Voilà qui serait plus amusant.

     Leif se recula vivement, pour éviter le contact du chrétien. Il n'était pas mécontent d'avoir rendu un peu de colère à son jeune ami. Comme la sienne, la fureur guerrière de ce dernier se calmait très vite. Le Norvégien, qui savait que c'était le signe des chefs, l'avait remarqué sans en rien dire. Au contraire, il le lui avait même reproché, comme un manque de force, une forme de faiblesse: l'homme devait se griser de la victoire jusqu'à la perte des sens. D'une certaine façon, il était sincère; lui-même regrettait de ne plus être capable de cette prouesse.

    Attiré par un éclair dans l'herbe, le grand homme se pencha. Une croix...! Une petite croix d'or...! Quelle forme étrange, pour une croix chrétienne...

    Peut-être, précisément, n'était-ce pas une croix chrétienne...? Non, c'était stupide, ces gens étaient tous chrétiens. C'était sans doute la croix distinctive d'un ordre religieux particulier...

    Se redressant, il s'efforça de retrouver l'enthousiasmante envie de combat qui lui faisait défaut, cherchant un but, un motif de colère.

    Aucun des cavaliers n'avait tourné bride. Le prêtre et les femmes n'étaient pas descendus, par manque de temps - l'attaque avait été trop brusque. Cette croix était de prix. La chaîne en était courte et fine, c'était celle d'une femme... D'une femme, ou d'un Franc très jeune...

    Ses yeux firent le tour du champ de bataille, notant chaque détail. Partout, des corps gisaient, sans vie. Des cavaliers, aucun n'avait survécu. Trois de leurs chevaux s'étaient enfuis, mais après... Effrayés, ils avaient emporté les couvertures, les selles et les armes de prix qui y étaient restées accrochées. Si on ne les retrouvait pas, ce serait une perte sévère.

    Çà et là, quelques uns des siens râlaient. Il allait falloir les achever. Les derniers gémissements du prêtre étaient couverts par les bruits de la fête qui s'annonçait...   

  Soudain, Leif bondit jusqu'au cheval blessé qui tentait de se relever. Ce qui de loin paraissait être un homme écrasé sous le poids de la bête, n'était qu'un ballot recouvert d'une cotte de mailles. Et le gant proche était vide.

    Rapide, le jeune chef vérifia que le plus proche voisin de ce faux cadavre n'était pas un leurre. Non, l'homme, dont la face camuse avait saigné abondamment, était encore chaud. Relevant à pleine main chaque tête, il s'assura que tous les autres étaient bien en chair et en os. Le cri étranglé du dernier, le fit rugir en lui écrasant la nuque d'un coup de pied.

    Pourtant, aucun doute, il manquait un mort.   

    Attentif à ses gestes, Roll aussi avait fait le compte. Son sourire s'élargit quand il vit son ami se mettre à courir pour s'enfoncer dans le bois. Personne ne courait plus vite ou plus silencieusement que Leif le Noir. Le fuyard était déjà mort... Sa main, crispée sur le rouleau de parchemin se détendit. Ce document ne lui apprenait rien; il le glissa sous sa ceinture.

    Certains feux s'allumaient déjà. On allait dépecer les chevaux blessés et faire bombance. Puis, les bœufs, les femmes survivantes et le contenu des chariots seraient emportés. C'était de la viande pour de nombreux jours, une esclave pour Rhona à son prochain retour vers les Hébrides et de l'or à fondre ou à négocier aux îles. Si les chariots étaient trop lourds, on n'emporterait que le cuir et les roues. Le reste ferait du feu...

14 Nov 2021

L'ère éditée

Il fallait bien que ça arrive à un moment ou à un autre. les chats ne faisant pas des chiens, j'étais coincé dés le début, même si il m'a fallu 30 ans pour le comprendre. Ma mère à écrit, peint, sculpté, elle était une artiste, elle le savait, elle le vivait, mais n'a jamais voulu en tirer un profit, elle voulait simplement être, elle y est parvenue de la plus belle des façons, en laissant en moi ce petit signal, cette petite lampe qui parfois s’allumait et dont j'ai longtemps nié et refusé le sens et la voix qu'elle me montrait.

Alors maintenant, je me retrouve sur la route, ce chemin qu'elle à emprunté, sans orgueil, sans égo, sans vanité, cette route qui conduit on ne sait trop où, mais qu'on à une furieuse envie de suivre. Alors maman, j'arrive.

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